Rime est un jeu vidéo d’aventure et de réflexion dans lequel nous incarnons un jeune garçon échoué sur une île mystérieuse à la suite d’une tempête en mer. À l’image de ce personnage déboussolé et perdu, nous ignorons tout de lui, jusqu’à son nom, son histoire, et les circonstances qui l’ont mené en ces lieux. à À mesure qu’il perce les secrets de cette étrange tour en forme de serrure, le garçon recouvre progressivement la mémoire grâce à des flash-back, où à la découverte de fresques et d’objets qu’il collecte sur son chemin. Ces derniers sont autant de souvenirs qui éclairent un passé qui se dévoile à lui par fragments. Rime invite alors le joueur à reconstruire l’histoire du personnage, mais aussi à prendre le temps d’apprécier et d’explorer son riche univers, que ce soit en contemplant ses décors somptueux ou en partant à la quête d’objets bonus. Mais que cache cette étrange tour qui se dresse au centre de l’île ?
L’histoire de Rime ne s’embarrasse d’aucune explication textuelle et propose seulement de courtes cinématiques où le garçon revit la scène du naufrage qui l’a amené sur cette île. C’est avant tout par son gameplay que l’histoire se dévoile au joueur qui est, en quelque sorte, le coauteur d’un récit qui se déploie grâce à la découverte d’informations dissimulées et éparpillées dans l’univers vidéoludique. Berceuse, jouets, emblèmes, peintures murales et trous de serrures sont autant d’éléments auxquels le joueur doit prêter attention pour élaborer des interprétations sur l’histoire de Rime. Mais à tout moment, il peut s’éloigner du chemin tracé pour contempler les paysages, interagir avec son environnement, ou tout simplement pour explorer les environs. Ainsi, le joueur est invité d’une part à s’approprier l’histoire et l’univers du jeu vidéo, et d’autre part à se saisir des représentations symboliques et des thématiques abordées pour développer en parallèle une histoire singulière, issue d’une libre interprétation du jeu vidéo qui s’illustre par un récit sans dialogue et une histoire suffisamment énigmatique pour préserver son caractère projectif.
Rime propose d’explorer cinq étages de la tour en forme de serrure. Ce n’est qu’une fois l’aventure terminée que nous découvrons les titres que les développeurs du jeu vidéo ont attribués aux différents chapitres : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Chacun de ces niveaux représente une étape dans le processus de deuil décrit par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross.

Le premier niveau, celui du déni, met en scène des paysages luxuriants, ensoleillés, et plein de vie. On y découvre des grottes, des passages secrets, et on part à la « chasse aux œufs » pour récolter des objets bonus. C’est au cours de ce niveau que le personnage réveille l’esprit d’un petit renard qui le guidera tout au long de son aventure, mais l’animal n’intervient qu’à certains moments précis, notamment lorsque le personnage ignore où il doit aller. Le rôle qu’occupe le renard est très important ; d’une part, il fait le lien entre le monde des vivants et le monde des morts ; d’autre part il est le guide qui accompagne en douceur le garçon pour lever le voile du déni en le menant jusqu’au mausolée où est enterrée sa mère.
Le second niveau change de ton. Les décors se parent de couleur ocre, orange, rouge et marron afin de représenter la colère, l’agressivité et l’hostilité. Dans ce niveau, le personnage se retrouve au beau milieu d’un désert aride, sous un soleil de feu. Plus aucune végétation ou animal ne peuplent ces terres désolées. Désormais, seules des ruines composent le paysage. Mais contrairement au niveau précédent, le garçon ne peut plus explorer les environs en toute sécurité car il est poursuivi par une créature qui le traque et l’attrape dès qu’elle en a l’occasion. L’angoisse de persécution et de dévoration est ainsi figuré dans Rime puisque le garçon est aux prises avec une menace extérieure à la fois dangereuse et toute-puissante. Pour échapper à la mort il n’a pas d’autre solution que de fuir et de se cacher sous la voûte des ruines ou de plonger dans la mer, mais parfois au risque de s’asphyxier. Pour venir à bout de son ennemi, le garçon libère un terrible orage noir qui était contenu dans la tour, telle une métaphore de la colère contenue qui sort de ses gonds. Une fois le monde plongé dans l’obscurité, d’étranges créatures noires font leur apparition.
Dans le troisième niveau, celui du marchandage, le personnage se trouve dans une zone abandonnée où la vie et la mort se côtoient. La mort le poursuit à nouveau, mais cette fois-ci elle est incarnée par d’étranges créatures noires qui lui rappellent sans cesse qu’il ne peut déjouer l’inéluctable. Lorsque le garçon s’approche de ces créatures, elles aspirent sa vie et le transforme peu à peu en un spectre blanc. L’angoisse de dévoration est donc à nouveau représentée, mais sous une forme différente. En parallèle, l’angoisse de désintégration fait son apparition au cours de ce niveau, car, si le personnage touche un homme statue, il se désintègre entièrement et ne laisse qu’un tas de poussière derrière lui. Mais dans cet univers sombre et inquiétant brille encore une petite lueur d’espoir. En effet, le personnage trouve des robots abîmés ou détruits par l’usure du temps. Le garçon repousse alors l’échéance de la mort sans la nier pour autant. Il rentre dans l’étape du marchandage en se donnant pour objectif de réanimer les robots. Pour ce faire, il doit revitaliser l’arbre mère des robots qui s’est desséché avec le temps. Une fois cette mission accomplie, l’arbre mère meurt en donnant naissance à la tête d’un dernier bébé robot que le personnage doit assembler comme un pantin pour lui donner un corps. Grâce à ce robot, le garçon parvient à redonner vie à tous les autres robots.
Le quatrième niveau correspond à l’étape de la dépression. La pluie ne cesse de tomber comme métaphore des larmes qui coulent. Au cours de ce niveau, le personnage découvre que les robots ne sont autres que des clés qui lui ouvrent la porte du sanctuaire où se trouve sa toute dernière quête. Pour que le garçon puisse accéder à cet endroit, les robots doivent « se sacrifier » en se murant dans les portes. Cette fois-ci, la mort ne peut plus être niée ou négociée. Même le renard qui avait accompagné le personnage jusque-là finit par mourir dans ses bras et retourne dans le monde des morts. Cette succession de perte ébranle le personnage et sa peine finit par le transformer en un homme statue. Lorsqu’il se libère de cette prison de pierre, il n’est plus que l’ombre de lui-même.
Le cinquième et dernier niveau est celui de l’acceptation. Le garçon a enfin atteint le sommet de la tour où il trouve un puit d’étoile dans lequel il se laisse tomber. Nous découvrons alors une dernière cinématique où le personnage est avec son père sur un bateau. Une tempête gronde et menace de faire chavirer leur embarcation. Pris par les flots, le garçon tombe par-dessus bord et se noie. Dans la scène finale du jeu vidéo, nous incarnons le père du personnage qui se rend dans la chambre de son fils. Nous retrouvons dans cette pièce tous les objets que nous avons collectés pendant l’aventure.
Avant de partir, le père voit le fantôme de son fils pour qu’il puisse l’enlacer une toute dernière fois avant de disparaître. Un bout de la cape du garçon reste dans la main de son père. Ce dernier se rend alors près de la fenêtre et lâche ce morceau de tissu qui est emporté par le vent, telle une illustration de l’élaboration du deuil.

L’histoire de Rime est fragmentée, telles des pièces de puzzle qu’il faut réunir pour contempler l’ensemble du tableau. Au cours de son aventure, le joueur voit progressivement l’image finale se dessiner devant lui, mais il ne peut encore voir clairement tous les détails qui se cachent dans les dernières pièces du puzzle. Ce n’est qu’une fois qu’il a terminé le jeu vidéo qu’il comprend de quoi il est question. Deux histoires s’entremêlent, à savoir celle d’un père faisant le deuil de son fils et celle d’un fils faisant le deuil de sa mère. Au début, les flashbacks du garçon nous montraient un homme portant une cape rouge. Celui-ci passe par-dessus bord et se noie. Mais cette séquence vidéo n’était en fait qu’une métaphore illustrant la dépression dans laquelle sombre le père du personnage. Le garçon n’est pas parvenu à sauver son père qui s’est noyé dans son propre chagrin à la suite de la mort de sa femme. C’est peut-être pourquoi le personnage ne cesse de courir après son père qui ne cesse de lui échapper. Il n’est qu’une silhouette au loin, inatteignable, qui s’évapore dès que l’on s’en approche.
Même si Rime nous propose une fin partageable par tous, chacun peut l’interpréter à sa façon, puisque plusieurs niveaux de lecture s’entremêlent. Certains y ont vu l’histoire d’un enfant qui fait le deuil de sa mère, ou d’un père qui fait le deuil de son fils, ou encore d’un fils qui tente de sauver son père de la dépression. D’autres pensent qu’il s’agit plutôt d’un voyage initiatique ou du parcours qui mène vers la mort. Nous pouvons aussi envisager une autre interprétation possible, plus symbolique, celle du deuil de l’enfance, et donc du délicat passage de l’enfance à l’âge adulte. L’histoire de Rime nous fait penser aux scénarios que se créent les enfants pour jouer. Ici, le garçon s’imagine partant à l’aventure pour percer les secrets de cette île magique. Pour construire son histoire, le garçon prend appui sur des éléments de la réalité matérielle. Par exemple, le petit renard qui le guide tout au long de son aventure n’est autre que sa peluche, les robots font écho aux carillons, et la grande tour en forme de serrure nous rappelle le phare que le garçon voit depuis la fenêtre de sa chambre. Selon cette hypothèse, le garçon quitterait peu à peu le monde merveilleux de l’enfance en affrontant diverses épreuves telles que l’expérience de la solitude, de la séparation et de la perte. Ce voyage initiatique passe par la confrontation aux angoisses de type dépressive, mais aussi des angoisses plus archaïques telles que la dévoration, la désintégration, et la persécution. Face à ces menaces, le garçon est bien démuni et ne peut user de la force pour vaincre les mauvais objets du jeu vidéo. Seule la ruse, la fuite et ses cris lui permettront de s’en sortir. D’ailleurs, la voix du personnage est très importante dans Rime puisque c’est elle qui nous permet d’éveiller la vie sur cette île : c’est en criant que nous animons des objets qui nous ouvrent la voie, c’est en fredonnant une berceuse que nous brisons le silence sourd de la solitude et que nous faisons appel au tendre souvenir de la mère berçant et enveloppant son enfant de son chant.
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