L’impact des images violentes sur les enfants et les adolescents est une véritable tarte à la crème médiatique. Mais pourquoi cette recette a un tel succès quand bien même de nombreuses recherches ont démontrés qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure ?
La violence est un sujet délicat à aborder, notamment quand il s’agit des jeunes. Depuis quelques années, je remarque une forme de refus ou de déni, de la présence de destructivité et d’agressivité chez les enfants et les adolescents, comme si celles-ci renvoyaient à une forme d’impensable. De même, la colère est bien souvent perçue comme l’annonce de future actes transgressifs, de violence physique ou verbale, ou de la perte de contrôle. Puisqu’elle ne peut être accueillie par autrui, il faudrait alors s’en détourner, la réprimer voire l’annihiler. Mais cette même crainte de l’attaque et de l’agression génère chez le sujet adolescent un trop-plein d’excitation qui finit par trouver une voie de décharge pour le soulager. Et le risque c’est que parfois cette violence se retourne contre le sujet lui-même à travers des actes autoagressifs. Cette violence interne dont nous sommes porteurs à différents niveaux, nécessite d’être mise au travail pour la transformer et alors la rendre supportable.
Récemment, c’est la série coréenne Squid Game qui a affolé les parents et les acteurs de l’éducation qui, après quelques incidents qui ont été relayés par les médias, craignent que les enfants reproduisent certains jeux violents de la série lors des temps de récréation. Pour ceux qui ont échappé à la viralité de ce phénomène, Squid Game est une série dystopique qui met en scène des personnages issus de milieux défavorisés et qui participent à des jeux d’enfants sanglants dans le but de gagner une grosse somme d’argent. Critique d’une société capitaliste qui engendre de la misère sociale et économique, Squid Game s’adresse davantage aux adultes (d’ailleurs la série porte le pictogramme -16 ans pour avertir son public). Mais, les enfants et les adolescents n’ont pas eu besoin de voir la série pour être en contact avec son contenu car Squid Game a été propulsé par les réseaux sociaux (Twitter, Youtube, TikTok, etc). Et c’est ainsi que tout le monde s’est mis à en parler.
Faut-il s’inquiéter que les enfants imitent la violence qu’ils ont pu voir ou entendre au sujet de cette série ?
Tout d’abord il me semble important de faire la différence entre 1. une image qui représente de la violence, 2. la violence qui est induite par une image et qui engage la sensibilité de chacun, et 3. la capacité du sujet de pouvoir mettre du sens et de prendre de la distance par rapport à ces images et aux émotions qu’elles ont suscitées.
Un enfant n’a pas les mêmes capacités qu’un adulte pour exprimer ce qui se passe en lui. Là où l’adulte peut mettre en récit son expérience, l’enfant va passer par l’imitation et le jeu pour éprouver et assimiler les émotions et états corporels suscités par certaines images. Dans le jeu, l’enfant à la possibilité de jouer avec les images qu’il a vues ; il peut les modifier, les déconstruire, ou en créer de nouvelles. Ces mises en scène de scénarios intérieurs font appel à son imagination et lui permet de chercher des solutions pour faire baisser le niveau de stress émotionnel. Jouer est donc une activité qui est investie affectivement. C’est un support d’expression, de transformation, et de symbolisation.
Ce qui est potentiellement violent, c’est de rester seul avec des images brutes, qu’on ne peut lier, partager ou exprimer avec des mots pour leur donner du sens. Et c’est là qu’il est important de faire une distinction entre une image violente et une image qui fait violence.
Ce n’est pas toujours le contenu de l’image qui vient ébranler le sujet, mais plutôt quand celle-ci rencontre une zone fragile et réactive des souvenirs du passé, que ce soit des expériences douloureuses, des sensations, des émotions, des traumatismes enfouis, ou des angoisses. Ainsi, tout dépend de la sensibilité de chacun, de son histoire singulière, de son environnement et de ses capacités d’assimilation. Et c’est pourquoi certaines images peuvent nous laisser impassibles et d’autres nous font violence bien qu’elles ne présentent pas un contenu objectivement violent.
Mais comment comprendre que certaines personnes (et notamment les adolescents) recherche ces images qui génèrent des émotions fortes ?
Se confronter à des images violentes c’est une façon de se mettre à l’épreuve en testant ses limites et donc de pouvoir identifier ce qui est supportable et ce qui est, au contraire, intolérable pour le sujet. Au-delà de leur contenu, les images peuvent susciter des émotions fortes par leur mise en scène, le montage, ou la musique qui les accompagne. Elles vont créer des émotions (peur, dégoût, colère, etc.) et des états dans le corps (tension, malaise, crispation, etc.) qui sont autant de sensations désagréables qui cherchent à être évacuées et, qui par leur intensité ; peuvent se transformer en de l’angoisse. On distingue alors deux formes de violences de l’image : celle qui captive et celle qui sidère. Les premières peuvent générer du malaise et éveiller des traumatismes enfouis ; quant aux secondes elles provoquent de l’effroi et gèlent la pensée. Mais ces états angoissants ont parfois déjà été vécus ou éprouvés. L’adolescent chercherait alors à retrouver un malaise préexistant qui s’inscrit dans son histoire personnelle. Si on suit cette idée, regarder des images violentes serait une tentative de se donner des représentations des émotions et états du corps. C’est une façon de figurer ce qui lui fait violence. C’est une tentative de colmater un vide de symbolisation, de donner une forme à l’impensable pour y donner du sens. De plus, ces images peuvent être partagées avec les proches car ce sont des représentations socialisées que chacun peut voir ; elles deviennent un objet de socialisation qui permet de parler de façon déplacée de ses propres conflits internes.
Il est tentant de vouloir protéger les enfants et les adolescents de contenus violents en leur interdisant de les regarder, mais le risque et qu’ils dissimulent le fait de les avoir vus d’une façon ou d’une autre, et préfère alors rester seul avec ces images en tête. Prenons plutôt le temps d’en parler librement avec eux. Invitons les à exprimer ce qu’ils ressentent et pensent et accompagnons les dans un bain de langage. Il me semble que l’adulte doit aussi accepter de livrer une part de sa sensibilité. Ne restons pas fort et impassible devant certaines images car les jeunes peuvent intégrer qu’être un grand c’est rester insensible devant des contenus potentiellement effractants.