Inside, une histoire de zombie et d’homme-machine

Dans un univers dystopique, Inside met en scène une société défigurée par les dispositifs d’un capitalisme autoritaire qui assure sa subsistance en instrumentalisant et exploitant le vivant. Tel un vampire qui plante ses crocs dans la chair de sa victime, le capital suce la force vitale du travailleur jusqu’à la dernière goutte. Son avidité sans limite est animée par une seule pulsion : s’enrichir, créer de la plus-value en absorbant la plus grande quantité de surtravail possible1. À la limite de la jouissance, ce besoin de dévoration insatiable ne peut être assouvi, car il est articulé à l’angoisse – à la béance d’un manque foré par un désir mortifère qui enclenche un processus de « destruction créatrice », essentiel à la dynamique du capitalisme. Porté par la force motrice du progrès et de l’innovation, le capitalisme ne cesse d’introduire de nouvelles méthodes de production qui, en se substituant aux précédentes, détruisent la valeur de l’ancien capital. C’est pourquoi, il est inévitable qu’un jour le capitalisme cause sa propre perte… au risque de nous emporter avec lui dans sa propre tombe.

La déshumanisation de l’homme

Pour ne pas sombrer dans le chaos, la société d’Inside s’est organisée sur la base d’un nouvel ordre social et d’un nouveau système économique qui reposent, en partie, sur la production et la commercialisation de travailleur en tant que marchandise. Emballé, empaqueté, recyclé, vendu, le travailleur n’est plus un homme, mais un produit de consommation. Tout ce qui faisait de lui un être humain, un sujet pensant et désirant, a été annihilé pour créer la créature rêvée du capitalisme : un corps-machine qui n’est plus limité par ses fonctions physiologiques. Délivré du souci de la chair, l’homme n’est plus l’esclave de ses pulsions et de ses besoins impérieux – son corps n’est plus soumis aux pénibles perturbations d’un organisme biologique bruyant qui ne cesse de réclamer quelque chose. En abolissant ce qui fait d’un humain… un humain, ce nouveau super-travailleur interroge ; il y a quelque chose de l’ordre de l’unheimlich freudien, à la fois étranger et familier. Bien que ce travailleur ressemble à un homme ordinaire, il agit comme un automate ou plutôt comme un zombie, un tas de chair ambulant, dépourvu de conscience, de parole, mais aussi d’identité.

L’opération de déshumanisation du travailleur le prive de tout ce qui fait de lui un sujet sensible et singulier, allant même jusqu’à lui ôter son visage pour ne lui laisser qu’une peau lisse dépourvue d’organes de sens, d’attributs et d’expression. Rien ne peut s’inscrire sur ce visage d’un blanc laiteux, pas même le temps ou les traces que laissent l’aléatoire et qui « se manifeste sur nos corps mêmes dans des phénomènes, des marques de toute sorte, des maladies, des cicatrices, dont nous ne pouvons pas rendre raison, dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas et, finalement, qui ne nous appartiennent pas »2. Pour Pierre Cassou-Noguès, l’individu se singularise dans l’aléatoire, dans les marques tracées par le temps qui donnent au visage son caractère singulier et qui font de l’homme un individu unique que l’on peut distinguer d’un autre3. L’absence de visage prive donc le travailleur de son identité, mais il lui retire aussi un vecteur essentiel dans l’interaction sociale ; un visage blanc, tel un masque figé dépourvu d’une bouche et d’yeux, ne peut plus rien exprimer. Cette absence de visage est bien cruelle, car elle dépossède encore davantage des individus qui ne peuvent plus jouir de leur propre corps, soumis et aliénés – privé de libre-arbitre et de capacité à penser.

En créant des travailleurs zombifiés, la société d’Inside a définitivement opéré à une mise à mort de la subjectivité et de l’individualité. Désormais, l’homme se calque sur le modèle d’une machine qui « garde inscrits en ses composants matériels ou ses actions, l’illusion, le rêve ou la feinte de la vie »4. Mais l’homme-machine ne peut être commandé par une autre machine ; pour l’animer, il lui faut passer par l’intermédiaire d’un être pensant.

À ce sujet, je rejoins la réflexion de Pierre Cassou-Noguès qui interroge la possibilité qu’une machine puisse créer un être capable de penser autre chose et d’une autre façon qu’elle-même. Même si la société d’Inside est équipée d’une technologie de pointe capable de créer de l’humain, elle n’est pas en mesure de re/produire quelque chose qui soit différent de son propre système. C’est peut-être pour cette raison que ces êtres humanoïdes ne peuvent s’animer qu’en passant par un tiers qui les contrôle à distance, un peu comme un joueur prend possession de l’avatar d’un jeu vidéo.

Du zombie à la machine

Dans son livre Mon zombie et moi, Pierre Cassou-Noguès met en scène, à travers des fictions originales, l’idée que le zombie nous permet de penser et d’explorer divers états du corps et des subjectivités altérées. L’une de ses fictions présente un corps machine, séparé d’une tête pensante qui peut se dire Je, mais qui peine à se sentir Je en l’absence d’unité entre ces deux parties5. Mathieu Triclot6 dégage deux propriétés intéressantes au zombie de Pierre Cassou-Noguès :

1) « le zombie […] est un être frontière qui frappe l’imaginaire, à l’articulation de l’organique et de l’inorganique, du vivant et du mort. Le zombie est une sorte d’animal-machine cartésien, un corps privé de conscience, sans regard ni parole. Il n’y a pas de machine en lui, seulement la mort, mais sa démarche hésitante et bancale rappelle cependant la formule de Bergson à propos du rire : de la mécanique plaquée sur du vivant ».

2) le zombie nous renvoi « directement aux variations possibles du corps propre. C’est ainsi que l’utilise Cassou-Noguès : le zombie permet de tourner en variations imaginaires autour du corps, d’en interroger la constitution et les limites ».

Le zombie de Pierre Cassou-Noguès ressemble à cette créature que l’on retrouve dans le jeu Inside sous la forme d’un homme zombifié, plus proche du zombi haïtien7 que du zombie de Romero.

Le cas du zombie sans tête que l’on retrouve dans la première fiction de l’auteur est tout à fait exemplaire pour mettre des mots sur ce que le jeu met en images. L’histoire est la suivante : le corps du narrateur se retrouve séparé de sa tête, qui reste le siège des perceptions. Bien que la tête contrôle à distance ce corps qu’elle reconnaît comme étant le sien, elle ressent une sorte d’étrangeté à le sentir comme faisant partie d’un Je unifié. Un jour, une nouvelle tête repousse sur ce corps acéphale, et par conséquent, brouillent les informations que reçoit la tête coupée qui ne parvient pas à faire la synthèse de deux sources de perception différentes ; les sons et les images se confondent et se superposent, luttant pour s’imposer à l’autre. Puisque la première tête reste connectée aux sensations et aux perceptions qui sont localisées dans le corps d’origine, une évidence s’impose à la nouvelle tête pensante, il suffit de mettre littéralement au placard la tête coupée pour qu’elle ne la parasite plus.

Ce petit extrait nous permet de réfléchir sur ce qui se passe dans le jeu Inside. Comme je l’ai évoqué précédemment, les zombies d’Inside n’ont pas de visage. Sans organes de sens, on peut supposer qu’ils ne peuvent ni voir ni entendre. Comme dans l’histoire de Pierre Cassou-Noguès, seule une autre tête pensante peut les commander à distance. Je me permets de devancer la critique que l’on pourrait formuler à ce sujet, car mon propos ne tient plus la route si on prend en compte que le protagoniste du jeu est aussi dépourvu de visage, et pourtant, il est capable de contrôler les hommes zombies lorsqu’il s’équipe d’un casque de contrôle. Comment pourrait-il prendre en charge la vue de ces hommes aveugles alors que lui-même n’a pas d’yeux pour voir ? Et bien la réponse est simple, notre protagoniste est lui-même sous contrôle. J’y reviendrais plus tard.

Je disais donc que ces hommes zombies ont besoin d’une autre tête. En l’absence d’un autre qui met à disposition son appareil à penser, le zombie d’Inside reste dans un état catatonique, un peu comme une machine à l’état de veille. Cette analogie avec la machine est encore plus frappante quand on observe sa démarche mécanique, qui met en lumière la part machinique en l’humain. L’homme-zombie est une machine organique, un système piratable et exploitable à l’image des machines zombies. En effet, il est intéressant de relever qu’en sécurité informatique, une machine zombie est un ordinateur infecté par un parasite de zombification (un virus ou un cheval de Troie) qui permet à l’attaquant de le contrôler à distance pour accomplir des tâches malveillantes et/ou l’intégrer à un réseau BotNet, constitué par des millions d’autres ordinateurs zombies qui travaillent de concert pour fournir une gigantesque puissance de calcul.

Si le zombie d’Inside nous intrigue, c’est sûrement parce qu’il nous ressemble et se fait l’allégorie de l’impact du contrôle et de l’aliénation sur le corps d’un sujet réduit à l’état d’une machine sans tête pensante pour éprouver les sensations qui traversent sa chair et l’unifier en un Je capable de se reconnaître et de se rassembler. Le zombie d’Inside est en quelque sorte un écorché, sans Moi-Peau pour assurer l’inscription de traces sensorielles dans un corps dévitalisé, désinvesti, et délibidinalisé.

Le travail, l’homme et la machine

Dans la société d’Inside, seuls les marqueurs sociaux liés au travail permettent de distinguer ceux qui sont contrôlés de ceux qui agissent encore de leurs propre volonté. La population est divisée en trois grandes classes sociales :

– Une classe laborieuse sous contrôle, zombifiés, sans visage

– Une classe moyenne qui regroupe les cols blancs, les ingénieurs et les scientifiques

– Une classe supérieure privilégiée qui jouit de droits différents des autres

Pour distinguer les deux dernières catégories, on peut remarquer que les individus libérés du travail et les individus incarnant le régime autoritaire, portent des masques blancs pour cacher leurs visages et se fondre dans la masse. Il semblerait que ces individus qui ont encore un visage constituent la tête pensante aux commandes de ce système, en d’autres mots, ils sont les membres au pouvoir.

Cette division à hiérarchie verticale dans l’espace social nous rappelle aussi celle qui est à l’œuvre dans le champ du travail et qui vise à améliorer la productivité des travailleurs en leur assignant quelques tâches simples et répétitives, dont chaque mouvement est étudié en amont pour éliminer les gestes superflus qui font perdre du temps et qui ralentissent la cadence de production. Peu à peu, le travailleur devient un rouage, un élément mécanisé intégré à « une machine qui dévore et incorpore à son propre corps mort et mécanique les vivants devenus des êtres partiels, mutilés, à peine en vie »8. Les conséquences de cet assujettissement à la machine sont terribles, tant au niveau psychique où le travailleur s’appauvrit intellectuellement et affectivement, qu’au plan somatique où son corps s’abîme et devient sujet à développer divers troubles musculo-squelettiques.

Comme le souligne Marx dans Le Capital, « le travailleur ne sort pas du procès de production dans l’état où il y est entré. Il se présentait sur le marché comme possesseur de la marchandise « force de travail », face à d’autres possesseurs de marchandises, d’égal à égal. Le contrat par lequel il vendait sa force de travail au capitaliste prouvait en quelque sorte noir sur blanc qu’il disposait librement de lui-même. Mais le marché une fois conclu, on découvre qu’il n’est pas « un agent libre », que le temps pour lequel il est libre de vendre sa force de travail est le temps pour lequel il est forcé de la vendre, qu’en réalité le vampire qui le suce ne lâche pas prise « tant qu’il y a encore un muscle, un nerf, une goutte de sang à exploiter »9.

Vidé de sa substance vitale, le travailleur finit par s’oublier lui-même, il s’efface et se dilue dans le rythme infernal d’un travail laborieux. Mais la douleur de son corps ne cesse de lui rappelle sa terrible condition. Pour tenir bon, il n’a pas d’autres choix que de se couper de ses pensées en automatisant davantage son corps. Celui-ci devient si performant que toute capacité à penser est saturé par l’auto accélération qu’il s’impose. Toute son attention est mobilisée dans et par l’action ; il ne lui est plus possible de laisser son esprit vagabonder dans la rêverie ou la réflexion. L’automatisation des mouvements du travailleur permet de parfaitement répondre à ce que la production capitaliste attend de ses travailleurs : qu’ils exécutent une somme d’action de façon rapide et efficace, sans réfléchir.

« Ce n’est plus le travailleur qui emploie les moyens de productions, ce sont les moyens de production qui emploient le travailleur. Au lieu d’être consommés par lui comme les éléments matériels de son activité productive, ce sont eux qui le consomment comme ferment de leur propre processus vital»10.

Toutefois, il y a un petit défaut dans le rêve capitaliste que dénonce le jeu Inside : si le travailleur est strictement discipliné et obéissant alors c’est l’échec du travail collectif, de la coopération, de la mise en commun de l’intelligence et de la subversivité qui est indissociable du zèle, car elle rend l’organisation prescrite du travail plus opérante11. En somme, un travailleur qui n’est plus en capacité de produire du travail vivant perd toute sa valeur puisque, selon Marx, seul le travail vivant permet de réanimer les moyens de production, à savoir les machines.

« C’est en tant qu’activité productive conforme à un but – filage, tissage, forge -, que le travail, par son simple contact, ressuscite les moyens de production d’entre les morts, les anime pour en faire des facteurs du procès de travail et s’unit à eux pour donner des produits »12.

Évidemment, un travailleur-zombie ne peut pas produire de travail vivant s’il n’est pas contrôlé par un système pensant, et sans travail vivant, c’est tout le système capitaliste qui s’écroule. C’est là où je trouve que le jeu Inside est brillant dans sa critique en dénonçant cette logique de production éminemment mortifère, car d’un côté elle pille et détruit les ressources de la Terre, et de l’autre, elle déshumanise et transforme les travailleurs en des corps-machines. Même si la catastrophe écologique n’est pas vraiment mise au premier plan dans Inside, il me semble que c’est une problématique transversale qui apparaît par petites touches. Avant que le protagoniste du jeu explore le gigantesque complexe industriel d’Inside, on remarque que les rivières sont polluées par des bidons de produits chimiques, que les fermes sont désertes, les cultures mauvaises, des dizaines de cochons sont soit entassés dans des espaces confinés, soit rongés par des vers jusqu’à ce que la mort les emporte. Puis, on découvre des entrepôts, des laboratoires et des bureaux vides et délabrés, certains sont même complètement immergés sous l’eau.

Bien qu’en apparence désert, ce complexe industriel est encore activité. C’est ici que les travailleurs sont transformé en des marchandises qui sont stockées dans des entrepôts et placées dans des zones de travail définies. Nous découvrons plus tard que ces travailleurs sont à vendre. Sous la surveillance de machines, des travailleurs zombies défilent devant des familles qui les examinent. Ce terrible spectacle est une mise en scène pour présenter les produits à de potentiels futurs acquéreur, mais aussi pour leur prouver la parfaite servitude de ces zombies. En guise de démonstration, lorsque les travailleurs rentrent dans une zone délimitée au sol, ils exécutent tous, de façon synchrone, des mouvements programmés. Mais le travailleur ne semble pas avoir beaucoup de valeur en tant que produit, au sein de l’usine, il n’est pas entretenu. Une fois qu’un travailleur est « défectueux » ou qu’il a atteint ses limites, il suffit de s’en débarrasser pour le remplacer par un autre. La déshumanisation du travailleur est telle qu’il n’y a plus aucun respect pour le vivant. C’en est fini des questions morales et éthiques, désormais, le vivant n’est qu’une matière que l’on peut manipuler et soumettre à diverses expériences. L’une d’entre elles m’a particulièrement interpellé. Il s’agit d’une scène où l’on voit des corps synthétiques reliés à des machines par une sorte de cordon ombilical qui se situe au sommet de leur crâne.

Lorsque le protagoniste actionne le levier d’un mécanisme, tous ces corps comparables à de la chair flasque chutent de plusieurs mètres et tombent mollement sur le sol. Tels des zombies, ils se relèvent et marchent à petits pas vers le protagoniste pour obéir à ses ordres. C’est là que l’on constate avec effroi que ces corps asexués sont pour la plupart difformes et non finis. Mais même si certains corps sont difformes ou amputés de leur tête ou d’un ou plusieurs membre, il n’en reste pas moins « fonctionnels ». Étrangement, ces êtres synthétiques paraissent plus vivants que les humains fait de chair, car ils semblent davantage habiter leurs propres corps. Le contraste est assez frappant entre d’un côté les synthétiques qui ont une démarche fluide et dont les membres suivent les balancements du corps, et de l’autre côté ces humains sans tonus musculaire qui se déplacent comme des automates désarticulés. On a presque le sentiment qu’ils pourraient s’effondrer à tout moment, cela dit, ça serait presque soulageant de voir que leurs corps marquent une limite à ce qu’ils peuvent supporter. Mais privé de la sensibilité du corps, la seule limite qui marque une fin est celle fixée par la mort de l’organisme.

Un corps coupé de la psyché, voilà le nouveau corps qui a émergé dans la société d’Inside qui a transformé le vivant en une matière malléable, docile et discipliné, que l’on peut manipuler grâce à un casque de contrôle qui fonctionne un peu sur le même principe qu’un casque de réalité virtuelle. En l’absence de capacité cognitive et de volonté propre, les travailleurs zombies et les hommes synthétiques ne peuvent s’animer qu’en passant par un autre qui va suppléer ce manque en assurant par lui-même la mise en mouvement du corps, un peu comme le joueur d’un jeu vidéo se glisse dans la peau d’un avatar pour le contrôler à distance.

Pour Triclot, « il y a une analogie évidente entre la situation du corps zombifié et celle de l’avatar, ce corps sans sensations, que l’on contrôle à distance. Ainsi, le corps-zombie de Cassou-Noguès est dénué de capacité de décision. La tête lui dit où se mouvoir, mais elle n’a cependant pas à lui dire comment, ni à contrôler par exemple le mouvement des jambes ou à maintenir son équilibre. Nous retrouvons ici exactement le même genre de démarche qui est celle de l’avatar avec ce mélange d’automaticité et de contrôle. Comme l’avatar, le zombie sans tête possède à la fois une certaine capacité propre de mouvement et une maladresse qui tient au pilotage à distance »13.

Quelle drôle de situation que celle d’un joueur qui contrôle un avatar pour lui demander d’en faire de même avec d’autres avatars. Mais là où Inside pousse la satire encore plus loin, c’est qu’il nous oblige à devenir complice d’un système que l’on réprouve. Si l’on souhaite poursuivre l’aventure vidéoludique, alors on est contraint à exploiter ces pauvres travailleurs en munissant le protagoniste d’un casque de contrôle. Et qu’importe si l’un d’eux ne survit pas à l’effort qu’on lui demande, on doit continuer à avancer pour conquérir sa liberté. Mais sommes-nous vraiment libres ?

Non, car dans la fin secrète d’Inside, notre personnage se faufilant dans un bunker secret équipé d’ordinateurs et d’un casque de contrôle, le même qui nous permettait de manipuler les zombies et les hommes synthétiques. Lorsqu’il débranche la prise qui alimente ces machines, la lumière s’éteint et le corps du garçon prend la même posture que les humains zombifiés. Et le jeu s’arrête là, vous laissant avec cette troublante vérité : le personnage que vous incarniez était aussi contrôlé. Cette mise en abîme est un coup de génie, car elle vous rappelle d’une part que votre personnage n’est rien de plus qu’un avatar contrôlé par un autre, en l’occurrence, vous, et d’autre part que votre position de joueur implique également une forme de commande par le programme d’un système informatique. Nous sommes nous-même des agents machinisés, bien que récalcitrants à adhérer à une logique utilitariste à laquelle le jeu nous contraint par l’exécution d’actes que nous condamnons. Nous aussi nous nous faisons vampires capitalistes en tirant profit de l’exploitation d’êtres humains que nous traitons comme de simples moyens pour atteindre notre objectif. Impuissants, nous ne pouvons que contempler ce terrible spectacle dont nous sommes complice.

Bibliographie

[1] Marx, K. (1867). Le Capital, livre I. Paris, PUF, coll. Quadrige », 1996, p259.

[2] Cassou-Noguès, P. (2007). Une histoire de machines, de vampires et de fous. Paris, Vrin, p25-26.

[3] ibid, p101.

[4] Beaune, J-C. (1980). L’Automate et ses mobiles. Paris, Flammarion, p7.

[5] Cassou-Noguès, P. (2010). Mon Zombie et Moi, Paris, Seuil.

[6] Triclot, M. (2010). Cyborg vs Zombies. Ou pourquoi il est important de considérer les jeux vidéo.

[7] Coulombe, M. (2012). Le zombie : épidémie et destruction de l’humanité. 24 images, (160), p28–30.

[8] Dardart, J-C. (2018). Pourquoi les Zombies sont-ils si affamés ? Des mort-vivants entre psychanalyse et économie politique I.  En ligne : http://www.jcdardart.net/index.php?article10/pourquoi-les-zombies-sont-ils-si-affames-des-mort-vivants-entre-psychanalyse-et-economie-politique-i

[9] Marx, K. (1867). Le Capital, livre I. Paris, PUF, coll. Quadrige », 1996, 337-338.

[10] ibid, p302.

[11] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/hors-champs/christophe-dejours-1195239

[12] Marx, K. (1867). Le Capital, livre I. Paris, PUF, coll. Quadrige », 1996, p225.

[13] Triclot, M. (2010). Cyborg vs Zombies. Ou pourquoi il est important de considérer les jeux vidéo.